Lionel Loueke, ou la guitare maraboutée
Ce billet s'inscrit dans un projet du désormais célèbre Z-band,
collectif à géométrie variable regroupant des bloggeurs timbrés de jazz.
Nous avons choisi de parler cette fois-ci d'un guitariste de jazz qui nous tient à coeur.
Cette édition pourrait avoir comme titre "Cordes et âmes".
D'aucuns appellent ça des génies,
ces météores qui déboulent de nulle part,
ces étoiles filantes et étincelantes du jazz,
qui, à peine apparus, sont déjà à leur zénith,
ces fulgurants innovateurs à maturité ultra rapide.
(on pense à Jaco Pastorius, par exemple).
Lionel Loueke est de ceux-là.
Né en 1973 au Bénin, dans une famille à la fibre musicienne,
il tâte d'abord des percussions, puis se tourne vers la guitare,
imitant en cela son frère aîné, qui lui inculque les éléments de base.
Il croise alors le chemin du jazz,
et écoute avec délectation Wes Montgomery, Joe Pass, George Benson…
En 1990, il a 17 ans et part étudier au National Institute of Art à Abidjan, Cote d'Ivoire.
De 1994 à 1998, il est à l'American School of Modern Music de Paris.
De 1999 à 2000, il est à Boston, au Berklee College of Music.
En 2001, il passe une audition pour entrer à la Thelonious Monk Institute of Jazz, à Los Angeles.
Le jury comprend Herbie Hancock, Terence Blanchard et Wayne Shorter,
qui, abasourdis, l'accueillent à bras ouverts.
Découvrez Lionel Loueke!
En 2002, toujours étudiant à la Thelonious Monk Institute,
il commence à jouer et à enregistrer avec le trompettiste Terence Blanchard.
Suite à quoi le public averti commence à tendre l'oreille,
et le gotha du jazz à se l'arracher,
de Herbie Hancock à Avishai Cohen (le trompettiste),
de Jacques Schwartz Bart à Charlie Haden,
de Kenny Garrett à… Sting ou Angélique Kidjo.
Deux premiers enregistrements en leader paraissent en 2005,
"In A Trance", chez Space Time Records,
un ébouriffant disque en solo sans overdubs,
et "Gilfema", en trio, chez Obliq Sound,
avec le bassiste italien Massimo Biolcati et le batteur hongrois Ferenc Nemeth,
deux musiciens qui l'accompagnent encore à présent.
Pour ces deux disques, l’accueil est unanime : sidération éblouie!
Son troisième album, "Virgin Forest", paraît chez Obliq Sound en 2006 .
Outre Massimo Biolcati (contrebasse) et Ferenc Nemeth (batterie),
on y entend Gretchen Parlato (chant), Gregoire Maret (harmonica), Herbie Hancock
(piano)
et de nombreux percussionnistes africains, ainsi que Cyro Baptista.
Ce bel album à la beauté paisible mêle compositions originales,
et reprises des chants traditionnels ouest-africains.
« Karibu » sort en Mars 2008, chez Blue Note cette fois.
"Karibu" ne désigne pas le sympathique renne sauvage du Canada,
mais c'est un mot Swahili qui signifie « bienvenue ».
Loueke y invite Herbie Hancock et Wayne Shorter,
fort bienvenus - justement! - et qui font feu de tous bois.
On remarque aussi des standards, jusqu'ici absents de son répertoire,
comme "Naïma", "Skylark" ou "Body & soul".
Le trio Gilfema récidive en octobre 2008 avec "Gilfema+2", chez Obliq Sound,
mais que je n'ai pas eu l'heur d'écouter...
Lionel Loueke, c'est un monde musical littéralement inouïe.
C'est un musicien insolemment original et doué,
qui joue un jazz à la fois simple et complexe,
qui puise ses racines dans la musique ouest africaine,
mais dont les branches se déploient dans le jazz le plus contemporain.
Bien des jazzmen américains ont cherchés à retrouver leurs racines africaines
- Coltrane, Randy Weston, Archie Shepp, Pharaoh Sanders... -.
Mais peu de musiciens africains (mis à part en Afrique du sud),
ont su utilisés ces racines musicales pour les faire évolué en sens inverse,
vers un jazz novateur et exigeant.
Loueke est un orchestre à lui seul :
parfois sa guitare se déguise en sanza ou en kora,
puis – ou en même temps - c'est un tambour sur lequel il déploie mille rythmes.
Ou bien encore, sa guitare se déploie en machine à sons,
reliée qu'elle est à toutes sortes de pédales, de sampler, et de machines à boucles.
Mais malgré tout l'attirail électronique, et les pédales d'effets,
le son de Loueke reste toujours très acoustique, pur, boisé et cristallin,
car il n'est pas de l'école post-hendrixienne,
revendiquant un jazz de déluge sonore saturé d'électricité.
Enfin sa voix se tisse constamment à tous ces éléments,
inventant des chants et contre-chants,
des rythmes et des interjections…
Son jeu en trio est le déploiement somptueux de ce jeu en solo.
Ses compositions et ses improvisations font preuve d'un sens rythmique peu banal,
basées sur des métriques inusités,
qui regorgent d'accords aux enchaînements surprenants,
de dissonances très subtiles,
de constants déplacements harmoniques et mélodiques.
Aussi, il faudra continuer à tendre l'oreille à l'étrange musique de Mr Louke!
..................................................
Voici les autres contributions du Z-Band sur "Cordes et âmes" :
Backstabber écrit sur Adam Rodgers
Maitre chronique sur John Mc Laughlin
Jazz O centre sur John Scofield
Mysterio jazz sur Gabor Szabo
Ptilou's blog sur Mike Stern
Jipes Mood sur Charlie Hunter
Bien culturel sur Manu Codjia
Jazz Frissons : Kurt Rosenwinkel
Native Dancer sur Marc Ribot
Noctanbule jazz sur Barney Kessel
Z et le jazz, sur Eric Lhörer ,
et en plus il a fait une belle table des matières illustrée!